Chapitre 1: achat d’une ferme
L’histoire se passe quelque part dans le Hainaut, en pleine campagne et, selon le plan de secteur, dans ce que l’on nomme aujourd’hui la zone agricole. Cette histoire s’inspire faits ayant réellement eu lieu (en fait, c’est même une histoire vraie), et bien qu’elle se passe en zone agricole, ces faits que nous vous rapportons sont valables pour toutes les zones du plan de secteur que le législateur a pu nous inventer.
Nous sommes en l’an de grâce 2016. Une bande d’irréductibles idéalistes un peu fatigués de se battre contre des moulins à vent prennent la décision de mettre leurs énergies et leurs magots dans un même fagot en vue d’investir dans une ferme en ruine et ses 8 ha de terre agricole.
La ruine se rénovera en auto-construction. Les terres serviront à la relance d’un projet de ferme familiale, au développement de projets de maraîchage à destination de personnes n’ayant pas d’accès à la terre, ainsi que d’un (encore) vague projet d’éducation – au sens large – à notre rapport à la terre.
Printemps 2017, notre groupe d’individus persuade les autorités communales ainsi que régionales à faire de cette ferme plusieurs logements et de la rénover. Le sésame est délivré : nous voilà détenteur d’un permis d’urbanisme ! Dans cette épopée, lors de la rencontre avec le service de l’urbanisme, la question de l’habitat léger est rapidement abordée. Nous annonçons que nous installerons de l’habitat léger pour y habiter, le temps de la durée des travaux. Le responsable du service semble ouvert à la chose et nous dit comprendre le besoin de se loger sans s’endetter. Bonne nouvelle !!
Chapitre 2: la domiciliation
Janvier 2018. Une yourte est montée. Oh, rien de bien méchant : 4m de diamètre, soit 12,5m2 habitable, et un fondu dans le paysage des plus réussi, quoi que visible à des km à la ronde. Sa grande sœur arrive dans la foulée, fière d’exposer ses 6m de diamètre!
Dès le printemps, l’occupante (appelons-la Mélusine) souhaite s’y domicilier. Rien de plus normal : elle y réside de fait en permanence ! Petit tour à la commune donc, au registre de la population, où on la prévient du prochain passage de l’agent de quartier.
Au passage de ce dernier, « pas question de me dire que vous habitez dans la maison: elle est en ruine » lui dit l’agent. – « bien entendu, monsieur l’agent ! En fait, je vis dans la yourte, juste ici », lui répond Mélusine, en lui désignant du regard son petit habitat rond.Dix jours plus tard, comme le veut la coutume, Mélusine retourne à la commune en vue d’acter son changement de domicile. « Ah non hein madame, désolé, mais l’agent de quartier nous a déclaré votre bâtiment insalubre, et je ne peux vous domicilier dans votre tente », lui dit l‘employé au guichet du service de la population. Bien qu’insistante et demandant à voir la responsable du service, sa domiciliation lui est refusée. Désappointée, Mélusine rentre à la maison. Au soir, son compagnon passe lui rendre visite. Mélusine lui raconte sa mésaventure survenue à la commune. A son compagnon de lui apprendre que, et retenez bien l’information : la commune a l’obligation de vous domicilier là où vous résidez (2), quand bien même ce serait dans votre voiture stationnée sur le parking d’un ami !! Si toutefois il y avait une infraction à un autre code (urbanisme, insalubrité,….), votre domiciliation serait provisoire. Ceci jusqu’à ce qu’il ai été mis fin à la situation irrégulière ou que vous ayez quitté votre domicile (3). Attention que l’inscription provisoire n’implique pas une légalisation de la situation et n’exonère pas les intéressés de leur responsabilité pénale.
Mélusine, armée de ses nouvelles connaissances de ses droits retourna dès le lendemain à la Commune pour s’y faire entendre. Et sans démordre de ses droits, la Commune s’exécuta!
Chapitre 3 : la yourte en cabane de chantier, infraction oui ou non ?
A la lecture de ce qui précède, vous vous demandez certainement si Mélusine et sa yourte sont en infraction au regard des règles d’urbanisme et en matière d’aménagement du territoire. Replongeons donc dans notre épopée, et retrouvons Mélusine et ses amis…
Plus d’un an a passé depuis l’acquisition de la ferme et l’obtention du permis d’urbanisme. Nos joyeux utopistes/bobos/anarchistes (biffer l’/les appellation(s) qui ne vous convien(nen)t pas) souhaitent modifier quelques éléments dans leurs travaux. Ils contactent donc la commune en vue d’obtenir un avis de principe sur d’éventuelles modifications du permis d’urbanisme. A leur plus grand étonnement, la Commune leur fait savoir qu’avant de s’avancer sur une modification du permis, il y a lieu de remettre de l’ordre et de régler la question des infractions urbanistiques constatées. Replongeons donc dans notre épopée, et retrouvons Mélusine et ses amis…
Plus d’un an a passé depuis l’acquisition de la ferme et l’obtention du permis d’urbanisme. Nos joyeux utopistes/bobos/anarchistes (biffer l’/les appellation(s) qui ne vous convien(nen)t pas) souhaitent modifier quelques éléments dans leurs travaux. Ils contactent donc la Commune en vue d’obtenir un avis de principe sur d’éventuelles modifications du permis d’urbanisme. A leur plus grand étonnement, la Commune leur fait savoir qu’avant de s’avancer sur une modification du permis, il y a lieu de remettre de l’ordre et de régler la question des infractions urbanistiques constatées.
» Ah ça tiens, nous serions en infraction urbanistique? Vraiment ? « , s’interrogent en cœur notre équipe. Au compagnon de Mélusine de revenir à la rescousse de ses amis! En effet celui-ci leur rappelle que le Code d’aménagement du territoire (CoDT) prévoit dans son Article R.IV.1-1 la possibilité d’installer une ou plusieurs cabanes de chantier le temps des travaux. Ceci sans permis ou autorisation préalable, pour autant que les travaux se font de façon continue et le temps de la validité du permis d’urbanisme (4). Attention tout de même que pour satisfaire à ces conditions, il y a lieu d’entreprendre sois-même ses propres travaux. En effet, il serait critiquable par le législateur de reconnaître le logement du maître d’ouvrage comme nécessaire à la bonne tenue du chantier…
Chapitre 4 : Happy end ?
Il nous faudra malheureusement attendre la Saison 2 pour connaître le sort que réserve l’avenir à notre joyeuse tribu. L’histoire s’arrête ici car la réalité nous rattrape. Et dans cette réalité, les événements s’arrêtent ici. Mais promis, on ne vous privera pas de la fin de l’histoire, et on vous reviendra vite! Sachez cependant que pour cette affaire d’infrastructure de chantier, le CoDT n’émet aucune restriction en terme de nombre de cabane, forme, parement extérieur, distance du chantier, hauteur de faîte,… et qu’il n’y a de restriction pour aucune des zones d’affectation du sol. Un oubli du législateur à considérer la volonté de ceux cherchant à maintenir leur droit à habiter autrement ? Sûrement !
Pour le collectif Halé !
(1) La zone agricole est une zone à dérogation où l’avis de la région est nécessaire, en plus de celle de la commune.
(2) La loi du 9 novembre 2015 portant dispositions diverses Intérieur (Moniteur belge du 30 novembre 2015 – document de la Chambre n° 1298) a inséré ou modifié certaines dispositions de la loi du 19 juillet 1991 relative aux registres de la population, aux cartes d’identité, aux cartes des étrangers et aux documents de séjour et modifiant la loi du 8 août 1983 organisant un registre national des personnes physiques.
(3) Le nouvel article 1er §1er, 1°alinéa 2 de la loi du 19 juillet 1991 précitée dispose que « Les personnes qui s’établissent dans un logement dont l’occupation permanente n’est pas autorisée pour des motifs de sécurité, de salubrité, d’urbanisme ou l’aménagement du territoire, tel que constaté par l’instance judiciaire ou administrative habilitée à cet effet, ne peuvent être inscrites qu’à titre provisoire par la commune aux registres de la population. Leur inscription reste provisoire tant que l’instance judiciaire ou administrative habilitée à cet effet n’a pas pris de décision ou de mesure en vue de mettre fin à la situation irrégulière ainsi créée. L’inscription provisoire prend fin dès que les personnes ont quitté le logement ou qu’il a été mis fin à la situation irrégulière ».
(4) «Actes, travaux et installations exonérés du permis d’urbanisme (…): les constructions provisoires d’infrastructures de chantiers relatifs à des actes et travaux autorisés, en ce compris les réfectoires, logements et sanitaires ainsi que les pavillons d’accueil, pendant la durée des actes et travaux et pour autant que le chantier se poursuive de manière continue »