Une histoire d’habitat léger dans les méandres de la loi
Le 11 mai 2020 a eu lieu la première audience d’une procédure judiciaire emblématique : celle du premier cas d’habitat léger poursuivi au pénal [1]. La ferme agroécologique Le Nord, installée dans la commune de Rochefort, est poursuivie pour infractions urbanistiques par le Procureur du Roi devant le Tribunal de première instance, en affaires correctionnelles. Les faits qui leur sont reprochés sont d’avoir installé une tiny house[2] servant de logement ainsi qu’un container et un petit chalet servant d’espaces de travail, avant l’obtention d’un permis d’urbanisme. C’est l’histoire d’un parcours de combattant·e·s pour faire valoir leur droit à habiter, dans le cadre d’un projet agroécologique porteur de sens.
Un projet agroécologique inspirant [3]
Sur le terrain de la ferme règne une agitation perpétuelle, comme une impatience à changer le monde. C’est à l’automne 2017 que le projet a été mis en place par les quatre maraîcher·e·s sur 2,8 hectares de prairies. Fruits et légumes diversifiés sont cultivés sur de petites surfaces et une forêt jardin est développée, en limitant au maximum le travail du sol et l’utilisation d’outils fonctionnant aux énergies fossiles. Les pratiques adoptées permettent de développer la biodiversité, d’enrichir le sol et de lutter contre son érosion. Les récoltes sont écoulées via des filières locales : marchés, système de paniers, restaurants et épiceries.
L’objectif de l’asbl est de contribuer à un changement des mentalités, des modes de production, de consommation en faveur d’une alimentation saine, locale et durable, aussi accessible à un public moins privilégié. Le projet adopte des modes de vie en faveur de pratiques écologiques et propose une autre manière d’habiter le territoire, de développer des liens entre producteurs et consommateurs et de participer à l’élaboration du tissu social. Un modèle agricole qui constitue sans nul doute l’avenir de notre agriculture wallonne.
Un parcours de combattant·e·s pour le droit d’habiter
Avant l’installation de la ferme, durant l’été 2017, les maraîcher·e·s prennent contact avec les autorités communales de Rochefort, qui montrent de l’intérêt pour le projet agricole et ses d’habitats. Entre janvier et mars 2018, deux actes de vandalisme se succèdent : les serres sont lacérées, 300 arbres et arbustes fraîchement plantés sont brisés. Ces dommages portent un sérieux coup économique sur ce jeune projet, sans compter le dommage moral, assorti d’une ombre menaçante qui plane en permanence sur la ferme.
Le 26 février 2018, une demande de permis d’urbanisme est adressée à la Ville de Rochefort pour deux logements de fonction et un abri de travail polyvalent, infrastructures indispensables au travail de la ferme. Mais suite au deuxième acte de vandalisme, les maraîcher·e·s refusent de demeurer à l’écart de leur lieu de travail, impuissants. Ils informent la Ville de l’installation prochaine de la tiny house en guise de logement, étant donné l’urgence de la situation, tout en rappelant leur volonté « d’agir en accord avec toutes les autorités compétentes ». La tiny house est installée sur le terrain deux jours plus tard.
Le 4 juin 2018, la réponse de la commune tombe : le permis d’urbanisme est refusé et il est demandé d’évacuer les installations endéans les 15 jours. Les autorités communales déplorent ce qu’elles appellent « la politique du fait accompli » et refusent de créer un précédent juridique. Cinq jours après la date échéance pour l’évacuation des installations, un PV est dressé par des agents de police et deux des exploitants sont auditionnés.
Mais peut-on parler de fait accompli alors qu’une demande a été formulée à la commune, puisque la commune a été informée de cette installation résultant de circonstances exceptionnelles? Pourquoi refuser le permis alors que l’habitat de fonction pour des agriculteurs sur une zone agricole est autorisé[4] ?
Carrousel administratif
Les habitant·e·s introduisent un recours auprès du Gouvernement Wallon et du Ministre de l’aménagement du territoire, M. Di Antonio. Malgré l’avis favorable de la Commission d’avis sur les recours… le recours est rejeté le 12 octobre 2018 ! Les contacts avec la commune se poursuivent pour trouver une issue, et en juillet 2019, une nouvelle demande de permis d’urbanisme est introduite en vue de régulariser la situation.
C’est à cette période que le propriétaire voisin – adepte de la chasse et contrarié par l’installation de la ferme – interpelle le Procureur du Roi, le fonctionnaire-délégué (Région wallonne) et le Collège communal pour les sommer d’intervenir face au non respect de l’injonction d’évacuation des installations et d’exiger des mesures de remise en état par la voie d’une procédure judiciaire. Fin 2019, la nouvelle tombe : le Procureur du Roi de Namur annonce poursuivre l’Asbl et deux des habitants devant le Tribunal de Première Instance, en affaires correctionnelles, pour infractions urbanistiques (sur base du PV de juin 2018) ! La Région wallonne se porte partie prenante.
Mais l’aventure du Nord est pleine de rebondissements… Entre-temps, la commune rend un avis favorable sur la nouvelle demande de permis d’urbanisme, sur base de l’avis également favorable de la DGO1 (infrastructures), l’INASEP (Intercommunale namuroise de services publics), le DNF (Département Nature et Forêts) et la DGO3 (agriculture). Le permis est donc en bonne voie pour être délivré, tandis que la procédure judiciaire se poursuit !
Des interrogations légitimes
Cette histoire est révélatrice des aberrations d’un système administratif et politique qui, de facto, met des bâtons dans les roues à des projets porteurs de sens, plutôt que de les soutenir. Le respect de la loi est érigé en Graal absolu sans prendre en compte les spécificités du contexte que requiert son application.
Dans le cas de cette affaire, les juges auront à trancher s’il y a bien eu infractions urbanistiques et si tel est le cas, quelles sanctions sont infligées à chacune des parties mises en cause, ainsi que d’éventuelles mesures de réparation. Pourtant, si dans le droit il existe l’argument de la légitime défense en cas d’agression, une logique similaire ne doit-elle pas être de mise face aux actes de vandalisme qui menacent la pérennité de leur activité professionnelle ?
Cette situation est aussi révélatrice des inégalités socio-économiques : la Ferme du Nord, en tant que jeune projet de maraîchage encore fragile économiquement, peine à financer cette procédure judiciaire, d’autant que plusieurs entités sont conviées au procès (personnes physiques + ASBL), ce qui nécessite l’engagement de deux avocats… et représente plusieurs milliers d’euros !
De nouveaux modes d’habiter qui font grincer
Pourquoi un tel emballement pour des habitats et abris de travail écologiques parfaitement réversibles et qui servent à un modèle agroécologique porteur de sens et d’éthique ? Les déclarations du Gouvernement wallon vont pourtant dans le sens d’un soutien à des solutions innovantes d’habitat (parmi lesquelles, l’habitat léger)[5] et d’agriculture.
L’habitat léger a été reconnu juridiquement par le Parlement wallon en avril 2019 dans un décret qui modifie le Code wallon de l’habitation durable. La législation évolue lentement vers la prise en compte de ces nouveaux modes d’habiter face aux enjeux sociaux et écologiques[6]. L’engouement pour ce type d’habitat est le reflet d’une société en mutation, dans un contexte de crises multiples. Mais ce mouvement d’ouverture semble se heurter par ailleurs à un mouvement inverse de crispation : de nombreux·ses habitant·e·s sont malmenés par les autorités communales et régionales, par la police… Y compris dans les zones où l’habitat léger est implanté depuis longtemps et a fait ses preuves comme alternative économique et sociale, comme les sites concernés par l’habitat permanent (campings, parcs résidentiels de vacances)[7].
Vers le ‘monde d’après’ ?
La crise mondiale liée au Covid-19 nous force à nous interroger sur notre modèle sanitaire, social, économique, politique, et sur nos modes de vie. Elle nous rappelle l’importance vitale de la santé, laquelle passe entre autre par l’adoption d’une alimentation saine et un environnement débarrassé de pollution, à l’instar de ce que nous propose des projets comme le Nord. Cette crise sonne la nécessaire relocalisation de notre production, notamment pour assurer notre souveraineté alimentaire. En favorisant les circuits courts, l’agriculture biologique, les produits de saisons, l’accès à la terre pour les jeunes, la mise en place de projets agroécologiques innovants[8]… on construit notre avenir ! Cette crise révèle la fragilité de l’espèce humaine et le lien entre crise sanitaire et écologique (par la destruction accélérée des habitats[9]), elle nous met face à l’impératif d’une transition écologique et sociale comme priorité absolue pour la survie de l’humanité[10]. Cette transition doit intégrer les questions agricoles, repenser l’habitat face à la crise structurelle du logement, le modèle économique face au manque d’emploi généralisé et à la récession économique, notre “vivre-ensemble” face à une perte de sens…
Le projet du Nord témoigne de la valeur de l’imagination des individus comme moteur d’action face aux défis contemporains. Saisissons cette crise comme une opportunité pour refonder un autre modèle de société. C’est le moment plus que jamais de soutenir et de défendre des projets comme celui-ci qui constitue une source d’inspiration concrète et cohérente pour construire “le monde d’après” ici et maintenant, dans le sens de la justice sociale et écologique.
Auteure : Maud Bailly (Halé ! Condroz-Famenne)
Une cagnotte pour le procès du Nord –
Appel à contributions pour financer les frais de justice !
Deux avocats pour les défendre (ASBL + personnes physiques) et une longue procédure judiciaire, cela représente plusieurs milliers d’euros !
Faites un don sur le compte de LaFerme asbl avec la communication “soutien procès” : BE30 1030 5358 6811. Merci !
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[1] À notre connaissance et celles des juristes et avocats interrogés.
[2] Les tiny houses sont des petites maisons (de 10 à 40m2 environs) mobiles à ossature bois.
[3] Voir https://www.facebook.com/LAFERMEasbl.leNORD/
[4] Conformément au CoDT – Code wallon du développement territorial – qui détermine les activités et équipements autorisés selon les zones du territoire (plans de secteur) et les formalités d’urbanisme exigées (permis, autorisation). Article D.II.36 “De la zone agricole. (…) Elle ne peut comporter que les constructions et installations indispensables à l’exploitation et le logement des exploitants dont l’agriculture constitue la profession.”
[5] Voir notamment la Déclaration de politique régionale pour la Wallonie 2019-2024 : « Le soutien à des solutions innovantes (habitat léger, coopératives d’habitants) (…) ; l’adaptation des règles d’urbanisme afin d’encourager la mise en œuvre d’habitats ‘non traditionnels’ ».
[6] Sur la législation relative à l’habitat léger, lire : RBDL et coll., « Reconnaître l’habitat léger en Wallonie », brochure, 2019 ; Maud Bailly, « Le poids du léger – Débroussailler le labyrinthe juridique de l’habitat léger en Wallonie », Barricade, 2019.
[7] Sur l’habitat léger comme alternative, lire : Maud Bailly, « Habiter léger – Une alternative sociale, écologique et culturelle ? », Barricade, 2019.
[8] Voir l’interview d’Olivier De Schutter, « Récoltes en danger, risques de stockage à cause du coronavirus: ‘Relocaliser pour retrouver de la souveraineté alimentaire’ », RTBF La Première, 9 avril 2020.
[9] Lire Sonia Shah, « Contre les pandémies, l’écologie », Le Monde Diplomatique, mars 2020.
[10] Lire Olivier De Schutter, « Cette crise est vraiment notre dernière chance », Alter Échos n° 483, 15 avril 2020.
Bonjour,
Pourquoi vos avocats ‘r vous défendent pas gratuitement.dans le cadre de l’assistance juridique gratuite ?
Si vos revenus sont inférieurs à ,1200€/mois je crois, vous y avez droit
Renseignez vous auprès d’une maison de justice
Une ASBL n’a pas droit à l’aide juridique. De plus, c’est une affaire compliquée qui doit être défendue par des avocats spécialisés et expérimentés.
Bonjour, j’ai seulement la possibilité de vous encourager, ne lâcher rien. Votre projet est fantastique et mérite, évidement, d’aboutir.
Tous mes vœux de réussite.
Bonjour, petit message pour vous informer que je suis dans une situation similaire. L’union fait la force…?
Depuis le CODT les services urbanistiques doivent laisser un délai de mise en conformité de minimum 3 mois avant d’effectuer des poursuites, avez-vous eu ce délai ?
Oui nous avons eu ce délai, merci pour votre idée 😉
Alors vous auriez dû retirer la tiny house du terrain avant la fin du délai, faire constater par huissier le retrait et donc la mise en conformité avant délai, et ensuite la remettre à un endroit légèrement différent ce qui aurait constitué une autre infraction et donc un nouveau délai, ainsi de suite et les avoir à l’usure. L’intérêt de la tiny house est justement qu’elle soit déplaçable 🙂
Remarquez aussi que depuis septembre 2019 le CODT a intégré les habitats légers afin d’être en conformité avec le code l’habitation durable (ancien code du logement). Il s’agit de la rubrique K dans le tableau des nomenclatures. Il serait intéressant de voir avec la commune si les poursuites peuvent être abandonnées en échange d’une nouvelle demande de permis sur base de cette nouvelle rubrique.
@Eric, merci pour vos idées ! Nous ne sommes pas étranger.es à ce que vous évoquez. Cela ne correspond pas cependant à des réponses applicables à nos réalités. (pas uniquement tiny house par exemple, et une seconde demande de permis a bien été introduite, mais suspendue par la procédure, comme indiqué dans l’article ci-dessus.)
Courage ! On vous soutien ! Vous faites du beau boulot !
Xavier et Chantal
La Wallonie fait de grandes déclarations pour se dire favorable à la production agricole en circuit court et à requalification d’espaces, en zone d’habitat vert permettant l’implantation d’habitat léger, ça c’est pour le principe… De la poudre aux yeux dans un double jeu de dupes !
En pratique et dans les faits, la plupart des communes gouvernées notamment par les conservatistes libéraux du MR, n’ont aucun intérêt électoral à favoriser ce type d’habitat et ce type d’implantation sur leur territoire car les personnes porteuses de ces projets sont extrêmement rarement des électeurs potentiels pour le consumérisme libéral…
À l’inverse, sur des parcelles situées au plan de secteur en zone de loisirs et où le CoDT interdit pourtant la construction de maisons d’habitation unifamiliales avec possibilité d’y prendre domicile, des permis d’urbanisme sont de longue date délivrés par des bourgmestres clientélistes pour la construction de spacieuses maisons en tous points identiques aux constructions que l’on trouve en zone d’habitat ou d’habitat à caractère rural.
Il s’agit là aussi d’une politique du «fait accompli» mais c’est un fait accompli initié par l’autorité politique elle-même de connivence avec les promoteurs immobiliers propriétaires des parcelles en question tandis que les futurs habitants des lieux sont eux aussi sélectionnés sur la base de leurs ressources financières et de leur capacité contributive (les autorisations de prendre domicile n’étant délivrées qu’aux futurs propriétaires des habitations à construire et non à des locataires). Pour ce public-là, les mandataires politiques ferment les yeux sur les déviances dans l’application de la norme et ils se coupent en quatre pour trouver de petits arrangements à l’amiable… Et contre ces pratiques déviantes-là, il n’y a pourtant guère de recours en annulation de permis devant le Conseil d’État car la collusion est totale.
Cela est d’autant plus manifeste que pour ces mêmes zones de loisirs qui pourraient être reclassées en zone d’habitat vert au plan de secteur et accueillir une proportion non négligeable d’habitats légers, type tiny houses, yourtes,… les autorités politiques communales ne font pas la moindre démarche pour introduire auprès de la région wallonne, un dossier de demande de reclassement mais elles continuent au contraire, leur petit business de délivrance de permis de construire du «quatre façades unifamilial» en zone de loisirs en toute illégalité et en toute impunité, pour y installer des dizaines de familles et y placer des centaines d’«obligés» dans de pseudo «plan Habitat Permanent» qui ne les concernent pas le moins du monde puisque ces plans sociaux ne les visaient pas non plus initialement…
Vous avez dit «politique du fait accompli».
Et pour le reste, mettre des bâtons dans les roues des porteurs de projets écologiques qu’il vaudrait mieux électoralement décourager et entamer des poursuites judiciaires contre ceux qu’on n’a guère envie de voir s’implanter sur le territoire communal.
Un mauvais procès même vide de sens, c’est d’une redoutable efficacité pour épuiser financièrement ces initiatives qu’il importe de décourager dès lors que, même louables, «elles ne nous seront pas rentables en terme de nouveaux électeurs.
La politique est affaire de carrière en Belgique… Qu’importe le projet pourvu qu’il nous permette d’être réélu ! 🙄
À l’inverse, il vaut bien mieux encourager et délivrer des permis pour des projets de poulaillers industriels ou de porcheries de 2000 porcs sur le modèle flamand mais portés par de petits fermiers «hommes de paille» locaux et financés par de gros groupes industriels du nord du pays…
Alors voilà… que dire des prétendues infractions urbanistiques de votre projet d’éco-agriculture et d’éco-maraîchage lorsqu’on les compare aux déviances et aux manœuvres des autorités locales pour conserver leur assise électorale.
Le double jeu du pot de fer de certains acteurs wallons pour écraser le pot de terre est abject et mérite d’être mis en lumière. 😬
Maintenant, faut-il consacrer des milliers d’euros à se défendre contre ceux qui essaient précisément de vous soumettre et de vous affamer ?🤔
voilà un magnifique résumé de l’abjecte réalité , merci