C’est à Malcolm McLean que l’on attribue la création du conteneur maritime (Ideal-X est le nom du premier bateau qui en 1956 transporta 58 de ces boites en métal). On disait de cet homme qu’il était « un homme totalement obsédé par le business, cherchant sans cesse de nouveaux moyens pour gagner plus d’argent » (American Magazine, début année 50). Cela partait de la nécessité de livrer des barils de carburant rapidement en diminuant les coûts. L’origine du conteneur, né en 1953, peut se résumer en une maxime : Le temps, c’est de l’argent.

Si le business man s’est tourné à un moment de sa vie vers l’immobilier, la connexion entre le transport maritime et l’habitat low cost ne s’est faite que bien plus tard. Une série de projets d’appartement en conteneur est apparue ces 40 dernières années, mais l’enthousiasme jaillit dans l’euphorie de l’apparition du mot « habitat léger ».

L’alliage entre un recyclage industriel et une écologie pragmatique, le tout dans un contexte de crise systémique du logement et d’ultralibéralisme, fournit la bonne conscience nécessaire à certain·es entrepreneur·euses pour réaliser un bon plan commercial. En effet, le conteneur permet à la fois un investissement sans risque, une sensation passagère de modernité et, au passage, d’acquérir la petite étoile verte du recyclage. Malcolm McLean pouvait-il imaginer que des héritiers lointains y logeraient des humains tout en faisant le buzz sur internet ? Quel talent !

Vos désirs sont nos ordres

En 2017, un entrepreneur vendait des appartements-conteneurs déjà appelés « Low cost » par la presse. Près de 100.000€ pour un appartement 2 chambres de 72 m2.

On trouve des conteneurs de 12 mètres (+/-35 m2) à partir de 1.500€ et l’aménagement peut varier entre 14.000€ et 25.000€ par unité neuve équipée (Echos du Logement n° 119 – Mars 2017 – p 38). Sinon, des projets existent depuis pas mal d’années comme à Amsterdam, pour des étudiants.

Le secteur immobilier privé n’est pas le seul à rêver au stockage low cost d’humains. Un projet « alternatif » apparaissait dans le Fonds d’investissement pour le logement public (printemps 2017) en Région wallonne. Cinq millions d’euros étaient dédiés à une expérience pilote de création de logements en conteneurs. Le projet n’a pas été retenu, sans doute était-ce un peu trop tôt… 2019, l’année du décret « habitat léger », confirmait la suppression de l’obligation de 10% de logement public. En effet, cette règlementation avait été peu appliquée, et était tellement complexe qu’on n’en voyait jamais les résultats, pour des raisons juridiques mais aussi politiques. Il aurait fallu sans doute améliorer cette loi et non la supprimer…  Globalement, la quantité de logement public en Wallonie stagne autour des 100.000 unités depuis pas mal d’années et cela, faute de moyens (le logement représente 2% du budget de la Wallonie). Le risque est grand de voir apparaitre des « tiny publiques » dans lesquelles les habitant·es ne trouveront que toujours trop difficilement leur place, comme dans le logement social traditionnel.

Au final, le fossé qui sépare les promoteurs des personnes logées donne la profondeur d’un monde gouverné à distance. Raisonnable pour certains ou rationnel pour d’autres, les conteneurs superposés et en lignes confirmeraient que nous ne sommes pas entendu·es sur la nature même de ce qu’est l’habitat léger. Même si le décret du 2 mai sur  l’« habitation légère » retient, dans sa définition, les éléments constitutifs de l’habitat léger, celui-ci n’empêchera pas de se faire mettre en boite par les promoteur·rices de tout poil. Il est nécessaire de limiter les élans carnassiers et d’empêcher qu’ils profitent de nos revendications pour transformer l’habitat léger en un simple produit de consommation.

Autonomie

Finalement, vous aurez compris que la forme de l’habitat léger, trop prisée sur les réseaux sociaux, passe trop souvent avant la nécessité de s’approprier son habitation. Il faut distinguer l’action d’habiter de celle d’être logé·e pour bien cerner le monde dans lequel nous sommes. La première est préalable au sentiment d’autonomie, lui-même précurseur pour exister et se sentir faire partie du monde qui nous entoure. À l’inverse, « être logé·e » relève d’un ordre bienveillant, mais aussi d’une forme de soumission préalable quelle qu’en soit sa forme. Comme le dit très bien Pialat : « vous ne choisissez pas, vous êtes choisi·e… » (L’amour existe – Pialat – 1960 )

Pour une grande partie de la population, « habiter » est un luxe qu’on ne revendique pas, ou un mythe. Parfois, cela exprime tout au plus le droit au logement. Que ce soit dans le logement privé ou public, l’habitant est aujourd’hui considéré·e comme une source de revenus ou de problèmes. A force d’être logé, en étant soumis·e à d’innombrables règles et normes appliquées par des régiments d’agents en tout genre, l’habitant·e s’est fait voler sa propre expertise de ce qu’est « habiter ». Trop souvent, il ne lui est plus possible de comprendre ce qui lui arrive. Et tout cela, pour compliquer les choses, se passe dans un contexte de pénurie de logement.

L’habitat léger est une réaction singulière à ces divers hold-up soutenus par une orthopédie sociale qui a moralisé le logement traditionnel. Ses habitant·es y recherchent de l’autonomie et essayent d’expliquer en quoi ces différents Traumas et Prisons sont nuisibles. Dans l’absolu, l’habitat léger questionne la brique et tout ce qu’elle regorge de soumissions, de contraintes et de dépendances : les normes, les prêts en banque et les modes de vie qu’ils produisent.

Si des lignes bougent, il est nécessaire de ne pas perdre de vue les composantes politique, économique, écologique et sociale du retour à la cabane (« À nos cabanes » – Marielle Macé – 2019). Il est probablement nécessaire de s’éloigner régulièrement des  formes idylliques qui marquent joyeusement nos rétines sur les réseaux sociaux. L’habitat léger pourrait rester une alternative sociale au capitalisme, mais il pourrait aussi devenir son pire cauchemar. Conteneurs, mobilhome ou yourtes à la chaine, entassés ou non, en rangs d’oignons et sur-normés ne changeront rien si domestication et rendement restent les maitres mots de leur mise en oeuvre.

Perspectives ?

L’habitat léger porte en lui le germe d’une alternative sociale et écologique. Mais comment le préserver de la marchandisation par le secteur privé et de la centralisation par l’autre secteur? Le capitalisme, quelle qu’en soit sa forme, gobe tout ce qu’il peut. L’alimentation « bio », par exemple, n’aura pas résisté longtemps à l’appel du gain. L’habitat léger semble être une bonne proie, si facile à convaincre d’ailleurs.

Une réelle perspective serait de créer des zones expérimentales dé-normées, mutualisées, radicalement anti-spéculatives, gérées par des assemblées d’habitant·es, loin des entreprises guidées par la croissance aveugle et, pourquoi pas, soutenues par les pouvoirs publics, s’ils acceptent de faire confiance aux habitant·es. On a vu ce qui s’est passé en un siècle de logement social: celui-ci est victime de l’atomisation de ses habitant·es, qui n’arrivent plus à faire corps. On se demande bien qui cela arrange en définitive …

Le Community land trust, dans sa forme belge, est un outil qui pourrait rassurer les pouvoirs publics car il contient une base cogérée et pourrait permettre de favoriser de la vie communautaire. Il capte une partie de la plus-value lors des reventes, en limitant l’appétit des plus voraces, mais en la permettant encore. On voit bien que c’est une obsession chez les bipèdes.

Des endroits qui développent des énergies vitales sont les ZAD (Zones à défendre). Ce sont des laboratoires d’apprentissage à l’autogestion et au développement de « commun(s) ». Elles se développent sur des territoires mis en péril par les méfaits du capitalisme, qu’ils soient privés et/ou publics. Elles permettent, hors cadre, d’expérimenter d’autres possibles. Ses habitant·es attirent l’attention sur une série de points, dont l’artificialisation des sols, la destruction des biotopes, de leur faune et de leur flore, la réappropriation de « savoir faire » comme l’artisanat, la cuisine, les potagers collectifs, la pratique de la récup’… Tout cela en y cherchant des fragments d’autonomie et en le pratiquant ensemble. Dans le meilleur des mondes, nous n’aurions pas besoin de ces lieux de vie expérimentaux, puisqu’ils seraient le modèle d’un retour de l’habitat et de l’humain dans le milieu naturel. Dans le moins pire, il en faudrait au moins un dans chaque commune.

Il existe pas mal d’alternatives en Europe qui tiennent dans le temps. En 2018 et 2019, on a pu écouter certaines d’entre elles lors des Rencontres intergalactiques de la ZAD de Notre-Dame- des-Landes, aux Rencontres internationales de l’habitat alternatif et de l’habitat léger à Louvain-la-Neuve, puis celles organisées dans le Poitou. On pense bien sûr au Quartier Libre des Lentillères à Dijon… Il s’agit de pouvoir soutenir toutes ces initiatives et d’en créer d’autres sans plus attendre. Et de ne pas nous laisser mettre en boite, quelqu’en soit la forme.

L’habitat léger, ce n’est pas uniquement de la claustrophilie (« Chez Soi » – Mona Cholet – 2015 ), c’est surtout une tentative de se délester d’un monde toxique pour en construire un autre.

smerf

Merci à Mickomix pour ses illustrations – La première avait servi pour illustrer un article dans le journal marseillais CQDF